Gaspar Noé Enter The Void Entretien Interview didier Verdurand Ecran Large

[Interview] Gaspar Noé, par Didier Verdurand




La dernière fois qu’on t’a vu, tu étais en pleine recherche de financement pour boucler le budget d’Enter the void, que tu estimais à 10 millions d’euros. Une somme qui fait peur ?


"En réalité, si tu rajoutes les salaires en participation des producteurs et autres frais généraux, on arrive à 13 millions. Les choses se sont débloquées quand BUF, la société responsable des effets spéciaux, a décidé de rentrer en co-production. Le film a pu se faire grâce à la bonne volonté de personnes qui se croyaient un peu au casino. Que ce soit Wild Bunch, Fidélité Production ou BUF, il y avait le désir de faire un ofni sans penser forcément au retour sur investissement mais plutôt au retour sur l’image. Je ne connais pas l’avenir commercial d’Enter the void mais quand j’ai fait Irréversible, je pensais juste faire un film culte pour des séances de minuit et en fait, il a fait le tour du monde et a été très normalisé quant à sa diffusion. Aujourd’hui, beaucoup de gens l’ont vu, un chauffeur de taxi sur deux m’en parle… Au point même que lorsque je vais dans un commissariat pour porter plainte suite à un vol de portable ou une perte de papiers, tous les flics ont un mot à me dire dessus ! Pareil à l’étranger, il m’est souvent arrivé d’en discuter avec un serveur dans un bar paumé. Alors on ne peut pas préfigurer de ce que sera la vie d’Enter the void. Tous les ados qui ont fumé des joints ou qui ont bouffé des champignons sont susceptibles de s’y intéresser, et ça représente pas mal de monde au fond ! Quand j’avais 18 ans et que j’allais voir Au-delà du réel et plus tard Vidéodrome, j’aurais pu être aussi attiré par cette expérience hallucinogène."


Tu penses qu’Enter the void s’adresse aux ados mais il sera interdit au moins de 16 ans !


"Les ados qui l’ont vu ne comprennent pas cette interdiction. J’aurais plutôt vu une interdiction aux moins de 12 ans. Il n’y a rien de très choquant."

 

 

7 ans entre les deux projections à Cannes, c’est long.


"On te dit oui, puis c’est non… La vie d’un réalisateur, c’est surtout savoir s’occuper pendant que tu attends des réponses. On m’a proposé de nombreux projets qui n’étaient pas de mon initiative, des films de commande… Des producteurs me proposaient d’acheter les droits d’un bouquin de mon choix… Mais je suis obtus et m’étais fait une fixette de réaliser Enter the void avant tout. Je peux dire maintenant que j’ai fait à 45 ans le film que je voulais voir quand j’en avais 20-25 et c’est aussi une manière d’être fidèle à son passé."


Tu as profité de cette période pour écrire des versions différentes ?


"Le premier jet du scénario était un court-métrage, puis c’est devenu un moyen… Il y avait une version où l’histoire se passait dans un petit village de la cordillère des Andes, après je me suis dit que ce serait pas mal de la situer dans une ville anonyme en France. Et Paris. Puis une ville plus moderne. Ensuite j’ai été à New York parce que j’aimais l’ambiance dans les années 70 mais c’est devenue une ville bourgeoise sans la folie qui y régnait alors. Comme je suis allé à maintes reprises au Japon ces dernières années, c’est devenu une évidence et il a fallu adapter le scénario avec des étrangers, sachant que je voulais finalement le faire en anglais. J’ai aussi gardé des choses. Par exemple le manager de la boîte de nuit s’appelle Mario alors qu’il est japonais ! On m’a dit que la bavure policière ne peut réellement se produire car les policiers là-bas ne se promènent pas avec des pistolets mais ça vient d’une version précédente où c’était possible. Vu le résultat, je ne suis pas déçu d’avoir choisi Tokyo. La semaine dernière, j’étais à Hong Kong et si devais retourner aujourd’hui, je prendrais encore Tokyo mais j’y grefferais quelques plans de grattes-ciel car sur le plan de l’architecture, Hong Kong est encore plus hallucinant, tu te crois dans un monde virtuel gigantesque pour un jeu-vidéo."


Quand on fait un film sur la mort, on y met de ses propres croyances ? Crois-tu en la réincarnation ?


"(Rires) Dieu merci, non. Je viens des couilles de mon père et du ventre de ma mère. Je pense que les religions ont inventé un au-delà ou des vies futures pour soulager les hommes de la peur de mourir sans avoir fait quoi que ce soit de sa vie. On a une vie assez courte, ça passe à toute allure. Des gens font des enfants, d’autres lisent des bouquins… Pour moi la vie est une bulle qui souffle sur du vide. Il y a du vide dedans et dehors et tu as l’impression de regarder les parois de ta vie. Quand la bulle explose, la vie n’existe plus. Les mystères sont dans la vie, pas dans la non-vie. Il y a la vie et puis rien. Mais j’ai lu Le Livre des morts tibétains, pas mal de bouquins sur les projections astrales et après tu fais un amalgame où tu mélanges différents trucs d’autant qu’à l’époque, je prenais des champignons ou des joints. Toujours dans des conditions sécurisées, jamais comme un psychonaute qui se met dans les pires galères avec de l’acide. Je ne me suis jamais considéré comme un aventurier de la défonce. Mais j’en ai pris assez pour vouloir donner une image au cinéma de ce que je percevais et même si depuis, mes problématiques ont changé, j’y suis arrivé. Je parle de plus en plus souvent de faire un film érotique parce que c’est là que sont mes obsessions actuelles, ce sera plus en phase avec mon Moi d’aujourd’hui."


Quelle est ton origine religieuse ?


"Je suis athé. Mes parents ont bouffé des osties quand ils étaient gamins mais m’ont découragé d’en faire autant. C’est bizarre parce que lorsque tu as une éducation athée, il y a toujours un moment où tu as envie de croire à des dimensions supérieures. Vers 15 ans, je me rappelle avoir voulu suivre des études sur les religions comparées mais ça n’existe pas. Et puis je me suis tourné vers le cinéma ! Il suffit de fumer un joint ou se prendre une cuite à la vodka pour que ta perception de la réalité soit différente. La réalité est celle que tes sens perçoivent."


Dans quelle mesure Le Livre des morts tibétains t’a guidé ?


"Il y a un lien fidèle avec sa structure à partir du moment où le mental d’Oscar commence à voyager après sa mort. Le film se déroule en trois parties. La première est réelle, en vision subjective. La deuxième est celle en flash-back où il revoit sa vie comme dans un miroir magique. Et il y a la troisième, astrale. C’est la plus planante et celle où narrativement, on comprend le moins bien l’enjeu. C’est un parti-pris que j’avais décidé avant de tourner mais si je pouvais refaire un nouveau montage, je le ferais encore plus psychédélique avec moins de dialogues et tous les flash-backs seraient plus désordonnés. Ce serait une version complémentaire à voir après celle qui sort en salle, un montage alternatif pour ceux qui ont déjà vu le film. Il y avait un peu ça dans de DVD de La Science des rêves de Michel Gondry. Dans un laboratoire de cinéma, Gondry est très inventif, c’est carrément une machine à inventer. A une époque, les gens allaient voir Godard parce qu’il tenait cette place du mec qui invente tout le temps."


As-tu été tenté d’être influencé par les critiques à Cannes, notamment sur la durée du film ?


"J’ai tout entendu. On m’a même dit de ne RIEN changer ! C’est vrai que l’abondance des effets visuels peuvent fatiguer la rétine, notamment à cause de clignotements de lumière, et la bande-son n’est pas du genre reposante. Tu additionnes cela au fait que l’âme est perdue et qu’elle flotte et le film peut te paraître plus long qu’il ne l’est. Je me suis dit qu’à partir du moment où tu fais un film sur un trip, il faut y mettre aussi du mauvais trip, comme dans la réalité. J’en reviens au joint ou au champignon mais combien de fois cela m’est arrivé de vouloir casser l’effet en mangeant du sucre ou en prenant une douche… J’ai voulu que le spectateur ressente la même chose, sans en abuser. J’ai essayé de raccourcir des plans-séquences mais je n’étais pas très convaincu. Avatar ne durait que 2h40 pour pouvoir être projeté en IMAX mais il ressortira dans une version plus longue. Je ne me suis pas fait chier une seconde devant Avatar et cela me réjouit de voir un jour la totale. Je n’ai pas eu ce souci."


Tu as aimé Avatar ?


"J’ai quelques réticences par rapport aux sous-titres qui flottent au milieu de la 3D mais sinon j’ai adoré et j’ai même pleuré quand ils explosent l’arbre sacré. C’est une vraie tentative de faire du grand spectacle et James Cameron y est arrivé. Chaque film est destiné à un certain âge et j’aurais encore plus aimé le voir à 12 ans. Plus que Star Wars qui ne m’a jamais vraiment parlé."

 

Avec le recul, tu n’aurais pas préféré présenter Enter the void cette année à Cannes ?


"C’est vrai que sur place j’étais crevé, on aurait dit un zombie. Mais c’est une proposition que tu ne peux pas refuser. Cela a donné un coup d’accélérateur énorme sur les effets visuels et le montage, on y a bossé comme des malades dès qu’on a appris la sélection et les équipes actives ont triplé. On était à genoux pendant les deux mois qui ont suivi mais on a continué alors que je ne rêvais que de vacances. 4 ans que je n’en ai pas pris, d’ailleurs."


Quand on monte un film comme Enter the void, on n’est pas tenté comme Oliver Stone avec Tueurs nés de prendre quelques substances hallucinogènes ?


"Cela demande tellement d’énergie de faire un film qu’en ce qui me concerne, ce n’est pas envisageable et toutes mes expériences dans ce domaine appartiennent au passé. Je n’ai même pas fumé un joint depuis que je suis sur Enter the void. J’en fumais beaucoup quand j’étais ado mais cela finissait par me rendre parano et j’ai arrêté. Je me souvenais suffisamment bien de ces expériences pour m’en passer et puis il faut savoir que ces psychotropes ont un sale effet secondaire. Pour une journée d’effet, tu as trois jours de descente… Si tu es dans un désir de rentabilité, cela te fracasse trop, surtout avec l’âge. J’ai basculé de plus en plus vers la vodka. Avec du jus de gingembre, de préférence."


La sortie française prévue les 5 mai se fera sur une vingtaine de copies. C’est peu !


"Les exploitants ne courent pas après un film interdit aux moins de 16 ans qui dure plus de 2h30 mais franchement, je préfère peu de salles pleines que de nombreuses salles à moitié vides."


Tu disais plus tôt vouloir faire un film érotique. Mais appelons un chat un chat. Erotique ou porno ?


"Appelons une bite une bite et une chatte une chatte. Et un film où les gens font l’amour, un film où les gens font l’amour.

(sans voix)

Disons que si je veux montrer des gens s’aimer, je préfère que ce soit vrai plutôt qu’ils fassent semblant. Cela reste une intention pour le moment, je ne me vois pas rentrer en pré-production avant six mois. Enter the void sort aujourd’ui en France, aux Etats-Unis, en Angleterre et d’autres pays en septembre donc je risque de faire de la promo pendant tout l’été. Après j’aurai besoin de me ressourcer un peu. Il me faudra vivre des expériences existentielles qui n’ont rien à voir avec la fabrication d’un film. Je m’attaquerai à un projet à la fin de l’année, probablement."


J’ai lu que tu avais aussi un projet de film d’horreur en 3D ?


"Non… Et dès que tu lances une idée, on veut désormais que ce soit en 3D mais je ne suis pas encore totalement séduit. L’autre jour, j’étais en République Tchèque et j’ai vu une petite télé Panasonic 3D que tu regardes avec des lunettes. Ca marche mais tu n’as pas une grosse profondeur, tu as toujours l’impression d’être dans un petit théâtre de marionnettes. Pour moi c’est de la 3D compressée. Avatar en IMAX fonctionne parce que l’écran est géant mais il manque l’infini à la 3D. Demain les télés 3D envahiront le marché et il y a déjà une grosse demande de programmes. Par exemple pour le film érotique que je voudrais faire, on m’a déjà dit que j’aurais plus d’argent si je le faisais en 3D. Mon choix final sera lié à la la légèreté du dispositif caméra car j’aurai besoin d’une certaine intimité. Après un gros budget et de grosses équipes comme celles d’Enter the void, je crois vouloir au contraire me retrouver dans un contexte plus proche de celui de Seul contre tous, où je peux jouer sur le temps sans pression financière."


Un dernier mot sur Eyes wide shut parce qu’un entretien avec toi où on ne cite pas un Kubrick, c’est moyen. La légende veut que tu aies proposé Irréversible à Cassel et Bellucci en disant quelque chose du genre « Vous voulez faire le film que Cruise et Kidman ont raté ? ». Info ou intox ?


"C’est une invention de la presse. Eyes wide shut n’est pas mon Kubrick préféré mais de là à parler de ratage, il y a un pas que je ne franchirais sûrement pas. Je pense juste qu’il ne devait pas être très porté sur le sexe, ce n’était pas son domaine de prédilection. Eyes wide shut n’est pas le 2001 du cul !"


Au fait, entre un César et un Hot d’Or, ton cœur balance pour… ?


"Un Hot d’Or ! (Rires) Il ne faut pas se prendre trop au sérieux, regarde Verhoeven quand il était allé chercher son Razzie pour Showgirls, il a bien fait. Les César, c’est pas ma came… En revanche, je pense qu’un prix à Cannes me toucherait."

 

On parie qu’il l’aura un jour ?


Propos recueillis par Didier Verdurand | Avril 2010.


https://www.ecranlarge.com/films/interview/901520-gaspar-noe-enter-the-void


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