Les Corps et Le Temps... Gaspar Noé

Dans La Tête  de Gaspar Noé...

 Dans le cinéma de Gaspar Noé, le temps joue un rôle plus qu’essentiel...


"Plus le temps avance, plus ma mémoire est floue; je ne sais pas si c’est parce que le disque dur est plein et qu’il retient moins de données ou si c’est juste parce que le cerveau marche moins bien. Je ne suis pas très porté sur la postérité – mon père (NDLR : le peintre Luis Felipe Noé) l’est plus. En tout cas, avec le temps qui passe, je suis plus en paix avec le présent que je ne l’ai été à vingt ans. Aussi, plus le temps avance, moins j’ai peur de la mort."


"Je me demande quelle forme les films vont prendre dans le futur. Leur pérennité est sujette à l’avenir de l’humanité. Ce n’est pas comme un monument en métal; les films resteront s’ils peuvent être lus sous leur format actuel. Mais s’il y a une Troisième Guerre mondiale, les disques durs qui les contiennent pourraient être irradiés. Les films vieillissent vite, hein? Alors j’en fais au fur et à mesure. Je suis content de vivre le temps présent."


"À l’âge de dix, onze ans, accompagné de cet ami dont le grand-père était caissier dans une salle de cinéma, on allait voir deux films par jour. À dix ans, j’allais voir Death Wish (Michael Winner, 1972). Les salles de cinéma, c’était pour moi ce qu’il y avait de mieux dans la vie. Buenos Aires en comptait entre cent et deux-cent. Elles ont toutes fermé pour devenir des théâtres ou des supermarchés. En Argentine comme partout, les gens consomment les films via les plateformes de streaming. C’est peut-être par réaction opposée que je n’ai pas de plateforme chez moi."


"En Argentine, il n’y a plus un seul magasin de Blu-Ray. J’aime bien l’objet physique : c’est de la collectionnite.  2001 : A Space Odyssey (Stanley Kubrick, 1968), je ne peux pas le posséder. Comment posséder l’œuvre de quelqu’un d’autre? À travers les petites maquettes en plastique ou les affiches. Mais aussi le Blu-Ray. J’admire les films de Dreyer, comme Vredens Dag (1943) ou La Passion de Jeanne d’Arc (1928); je me dis, « Tiens, j’ai la meilleure édition, avec tel bonus. » Ça m’est arrivé de donner un DVD à des danseurs de Climax, pour qu’ils voient un film, de moi ou de quelqu’un d’autre; ils le posaient sur l’étagère sans savoir quoi en faire, comme si c’était une disquette."


Gaspar Noé


Gaspar Noé filme les corps qui s’aiment, se perdent, s’entrechoquent ou se consument. Il transforme le cinéma en expérience physique, souvent douloureuse, parfois extatique. À 60 ans passés, Gaspar Noé continue de creuser un sillon singulier, à la croisée du cauchemar sensoriel, du trip hallucinatoire et de la méditation sur la finitude. Portrait d’un cinéaste qui regarde les ténèbres en face – et les sublime.


Le vertige comme langage


Chez Gaspar Noé, rien n’est laissé au hasard, et surtout pas la sensation d’égarement. Dès ses premiers pas dans le cinéma, il conçoit ses films comme des labyrinthes sensoriels, des expériences de conscience altérée, où le temps se dérobe et les repères s’effacent. Seul contre tous (1998), son premier long-métrage, annonçait déjà la couleur : récit d’un boucher raciste et incestueux filmé à coups de silences étouffants, de flashes mentaux et de ruptures de ton brutales. Ce n’était pas une fiction au sens classique du terme, mais une plongée frontale dans un esprit malade, un cri désespéré contre la vacuité moderne.

Puis vint Irréversible (2002), qui marquera au fer rouge le cinéma français. La narration à l’envers, la caméra tourbillonnante, le viol insoutenable filmé en plan fixe : tout y est conçu pour heurter, désarçonner, rendre presque physiquement malade. Mais derrière la violence, une intuition formelle forte : si le cinéma peut faire mal, c’est qu’il peut aussi toucher au réel avec une intensité rare.


« Je veux faire des films qui s’impriment dans le corps », disait-il alors. Mission accomplie.


Un cinéaste du seuil


Dés son adolescence, il est fasciné par le cinéma expérimental, les vidéos underground, mais aussi par les maîtres classiques (Kubrick, Bunuel, Pasolini), il rêve d’un art total, qui ne fasse aucune concession à la morale dominante.

Ce goût du vertige et de la transgression culmine avec Enter the Void (2009), voyage halluciné dans Tokyo à travers les yeux d’un jeune dealer assassiné. Filmé en vision subjective, influencé par le Livre des morts tibétain, ce projet démentiel repousse les limites de la représentation : mort, réincarnation, flashbacks intra-utérins, visions psychédéliques… Le film est un trip sensoriel unique.


Gaspar Noé ne cherche ni le consensus, ni la facilité. « Je fais des films pour vivre une expérience, pas pour raconter des histoires », dit-il. Une esthétique du seuil, entre la vie et la mort, l’amour et le néant, le sublime et l’abject.


L’amour, la drogue, et puis la fin


Love (2015), est tourné en 3D. Dans une époque où le sexe à l’écran est de plus en plus lissé, chorégraphié, désexualisé au nom de la bien-pensance ou du malaise collectif, Love ose une frontalité simple et belle. Pas pour choquer, mais pour rappeler que le corps amoureux est un territoire de cinéma. Que la tendresse, le désir, la tristesse peuvent s’y inscrire sans musique manipulatrice ni découpage académique. Love est peut-être l’un des rares films post-2000 à filmer le sexe sans fétichisme ni morale, mais avec une tristesse infinie.



En 2018, Climax confirme que Noé arrive toujours à surprendre : un huis clos dans une école de danse, où une troupe de jeunes artistes sombre dans la folie après avoir bu du LSD à leur insu. Étrangement politique, le film interroge le collectif, la jeunesse, la violence latente. Danse, transe, chaos – la formule Noé atteint ici une maîtrise quasi hypnotique.


Mais c’est avec Vortex (2021) que le cinéaste opère un tournant bouleversant. Filmé en écran partagé, ce drame sur un couple vieillissant confronté à la maladie d’Alzheimer est à mille lieues des provocations passées. Sobre, pudique, profondément humain, Vortex émeut autant qu’il sidère. Pas de sexe, pas de drogue, pas de stroboscopes – juste l’inexorable désintégration de la mémoire, de l’amour, de la vie. Le film est dédié à tous ceux « dont le cerveau se décompose avant le cœur ».


Un artisan libre


Gaspar Noé ne tourne pas beaucoup, mais il tourne libre. Il finance ses films de manière indépendante, choisit ses acteurs dans la rue, travaille souvent avec une équipe réduite. Il n’appartient à aucune école, ne fréquente pas les dîners d’apparat, et fuit les discours. Ce qu’il dit, il le dit avec sa caméra. Et tant pis si ça dérange.

Il est de ces rares cinéastes dont on reconnaît l’univers dès la première seconde. Et qui, malgré l’étiquette de "provocateur", œuvre à une forme de spiritualité à l’envers, de contemplation violente du réel. Un cinéma du vertige, du seuil, du doute – mais aussi, de la beauté dans ce qu’elle a de plus cru.


Gaspar Noé ne cherche pas à plaire. Il cherche à révéler. Et c’est peut-être ce qui fait de lui l’un des derniers vrais auteurs de notre époque.


Ce site est dédié au réalisateur Gaspar Noé. Nous avons souhaité réunir dans cet espace, un grand nombre d' entretiens, interviews, reportages du réalisateur. Des Bandes Annonces de ses films aux clips musicaux, la plupart des documents présentés soulignent l'importance de l'Image et du Son dans l' Univers de Gaspar Noé. Ce site est régulièrement, au fil de l' actualité, mis à jour. Cet espace est le votre et toutes contributions à son évolution seront les bienvenues.



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